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Partir un Jour
11 janvier 2017

Transformations musicales

En étudiant les transformations de la musique théâtrale, on peut constater un progrès dans la forme plutôt que dans le fond; cette musique semble marcher en ligne brisée, ou plutôt, elle semble tantôt reculer pour reprendre ensuite sa marche en avant: le tout pour faire autrement qu'auparavant, sans faire beaucoup mieux, du moins depuis Gluck et Mozart. Ce que je veux dire ici, c'est que l'opéra est, pour le public, une source continuelle de jouissances, aussi bien 24 que de mystifications, auxquelles il ne croit même pas et dont, d'ailleurs, il ne s'inquiète point, pourvu qu'il ait les jouissances. Il est bien entendu que je ne parle pas du petit nombre de personnes habituées à juger sans préventions ni illusions, je ne parle que du public qui fait le succès ou l'insuccès d'un ouvrage, bon ou médiocre, sérieux ou frivole, peu lui importe, pourvu qu'il y trouve le plaisir qu'il cherche. C'est qu'au théâtre, l'impression que reçoit le public est très complexe; il ne s'occupe certes pas de l'analyser, chose dont il serait incapable et qui, d'ailleurs, ne servirait qu'à gâter son plaisir. Il voit de beaux décors représentant un palais ou un paysage pittoresque; il voit des personnages en costumes riches et étincelants figurer, par leur mimique et leur jeu de physionomie, une action théâtrale émouvante; il écoute ou lit les paroles qui lui expliquent l'action; il entend une musique vocale et instrumentale qui le charme et le touche, tantôt douce et insinuante, tantôt 25 passionnée et entraînante, tantôt poignante ou lugubre: l'ensemble lui cause une vive émotion, un extrême plaisir, et il ne doute pas que la musique ne convienne aussi bien à l'action dramatique que la mimique des acteurs, les costumes et les décors. Ce n'est pas tout: le timbre même de la voix d'un chanteur ou d'une cantatrice, ainsi que les charmes de sa personne, peuvent exercer sur le public une fascination singulière; c'est une des causes principales du succès de bien des artistes. Quand le public a pris un artiste en affection, il lui faut des causes graves pour changer de sentiment. Puis, il y a des effets de voix qui ont sur lui une influence irrésistible: par exemple des traits de bravoure, un son éclatant, voire même un cri, poussé à pleins poumons, surtout à la fin d'une phrase, avant un silence plus ou moins prolongé; puis un son d'une acuité exceptionnelle, tel qu'un ut ou un ut dièze de poitrine d'un ténor,—un mi ou un fa suraigu d'un soprano; puis encore des oppositions 26 subites de piano et de forte; un puissant effet vocal de chœur, soit à l'unisson, soit en morceau d'ensemble; bref, l'effet musical au théâtre se compose d'une quantité de détails et s'unit à une foule d'effets d'autre nature, de telle sorte que l'auditeur n'est juge que de son plaisir, sans qu'on y puisse voir un criterium pour la valeur véritable d'une œuvre. Je sais bien qu'en dehors du théâtre, on peut exécuter la musique d'un opéra, dégagée de tous les accessoires scéniques; mais là encore on juge la musique selon le plaisir qu'on en éprouve, plutôt que par sa valeur dramatique. Je n'ai pas compté l'influence qu'exerce au théâtre l'ensemble de l'auditoire sur ses parties; je veux dire que l'impression de chaque auditeur peut être modifiée ou corroborée par celle des autres; cet effet de réciprocité ou de sympathie n'est pas à négliger, car il est l'origine et la raison d'être d'une institution qu'on tolère tout en la désapprouvant: la claque, puisqu'il faut la 27 nommer. On dit qu'elle n'existe qu'à Paris.

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